LA GROTTE DES OURS GHAR- ZAHAR (grotte qui gronde) 1er partie

LA

GROTTE DES OURS

GHAR- ZAHAR (grotte qui gronde)

Ainsi appelée par les Arabes à Constantine (Algérie)

Géologie

Le puissant massif sur lequel repose Constantine et les monstrueux rochers voisins appartiennent à l’étage turonien. Aux découpures bizarres et fantasques, parfois ils affectent des crêtes ruiniformes du plus pittoresque effet ; tantôt, c’est une dentelle étrangement dessinée et tantôt aussi les interminables et épaisses bandes qui constituent cette division du crétacé, lui donnent un aspect d’une régularité étrange. Les murailles véritables, d’une hauteur prodigieuse, interminables et superposées comme des constructions cyclopéennes, font de ce site un des coins les plus merveilleux du monde. Partout, le phénomène de l’érosion a laissé des traces et la grande quantité d’eau tombant principalement sur quatre mois de l’année, fait que le ruissellement a, sur ces rochers, une influence immédiate.

Constellé de déchirures, de failles, de trous et de grottes apparentes ou non, notre puissant massif abrite bien des secrets des civilisations passées, des premières civilisations dirons-nous même et ce sont ces secrets que nous nous proposons de percer.

Situation

Ainsi que nous l’avons vu, d’après la formation géologique du sol, le crétacé particulier sur lequel est construite la ville de Constantine, ménage une assez grande quantité de grottes et d’abris sous roche, souvent n’offrant que le roc comme sol, mais parfois aussi un apport et un remplissage de terre épais dans lequel on peut rencontrer des traces d’habitat à différentes époques.

La gigantesque crête parfois ruiniforme qui se dirige vers le nord, oblique ensuite assez franchement à l’est lorsqu’on arrive à la hauteur du second tunnel de la voie ferrée allant à Philippeville. Presque au sommet de l’angle formé par cette nouvelle direction on trouve une grotte vaste et spacieuse, de plain-pied, ne mesurant pas moins de 60 mètres de longueur” 6 mètres de largeur moyenne avec une hauteur par-­fois assez considérable.

L’ouverture principale est au nord, elle affecte la forme ogivale presque régulière et en raison de ses grandes proportions elle a un certain caractère majestueux.

A l’ouest, existe une seconde ouverture un peu en orifice de four, également de grandes dimensions, mais inaccessible, à pic qu’elle est à une respectable hauteur au-dessus de la voie ferrée. De cet endroit, on commande un horizon merveilleux sur la vaste vallée du Rhumel, couronnée au loin par les hautes chaînes en amphithéâtre, et les primitifs habitants de cette grotte, se trouvaient au moins de ce côté en absolue sécurité.

Cette ouverture se continue en s’élargissant de chaque côté pour former une vaste salle en rotonde, et rejoindre ensuite le long et large couloir de la grotte principale (Plan. fig. 1)

(Fig. 1) plan de la grotte à l’échelle de 0m003 par mètre
              A B C D fouille de reconnaissance
              E F G    point ou s’arrête la fouille

Origine

A u cours de nos recherches dans cette partie du massif, hiver (1907–1908), nous avions exploré une première fois cette grotte et de suite il nous avait été donné d’y recueillir quelques preuves de son habitat à l’époque qui nous intéresse. En effet, sur le plateau voisin et aux abords, nous avions trouvé quelques silex, des ossements assez anciens et certains débris de poterie d’un caractère franchement néolithique. Toutefois, les débris seraient certainement plus nombreux dans le sous-sol car, le vaste cône de déjections naturel descendant des hauteurs supérieures s’amoncelle de plus eu plus, et a pu recouvrir considérablement l’horizontalité correspondante à l’occupation, et sur laquelle les recherches seraient, Pensons-nous, plus fructueuses.

D’autre part J parmi les nombreux éboulis de rochers et les déchets de carrières d’exploitation, on distingue sur ce plateau des restes de murs berbères, des alignements particuliers ayant tout l’air de ruines d’enceintes préhistoriques ; et enfin, nous avons pu relever quelques dolmens en fort mauvais état, effondrés qu’ils sont actuellement.

Du plateau, la vue se porte tout naturellement sur la vaste ouverture donnant accès dans la grotte qui va faire l’objet de notre travail. Les Indigènes, perpétuant une ancienne tradition, lui ont conservé le nom de « grotte qui gronde» Ghar-Zahar, vraisemblablement en raison de l’écho qui s’y observe, comme du reste dans toutes les grottes surtout profondes.

Nous lui donnons un nom plus en rapport avec les circonstances « grotte des ours», car nous en avons recueilli des restes nombreux.

Fouille

A l’aide d’une subvention de la Société archéologique de Constantine, le 1er avril, nous entreprenions la fouille de cette curieuse grotte.

A cet effet – fort pris que nous étions par notre service administratif — afin de mieux conduire le travail, nous faisions venir de Bougie un ouvrier, que nous avions occupé là-bas pendant cinq ans, celui-ci était très au courant de nos sortes de recherches et pouvait nous rendre les plus grands services.

Tout d’abord, il nous fallait une autorisation régulière, et nous avons dû lutter longuement avant de l’obtenir, car le terrain et la grotte même se trou vent appartenir à une riche indigène ; c’est un bien habous. Nous devons, en cette circonstance, remercier tout particulièrement M. Misellati, fondé de pouvoirs de cette dame, il a été pour nous un précieux auxiliaire.

L’autorisation accordée, retirée, rendue, il nous fallait nous soumettre à une condition formellement imposée ; depuis une quinzaine d’années, la grotte servait d’écurie pour les troupeaux d’un locataire ­un mur avec porte, en ferme même l’entrée – et il était dit que nous devions la laisser absolument en état en vue de cette servitude.

D’ores et déjà, nous devons donc prévenir, que pour un œil peu exercé, on ne se douterait guère qu’un travail considérable a été fait en ce lieu et que plus de 400 mètres cubes de terre ont été remaniés. Sous peu de temps même, quand la surface aura de nouveau été battue par les troupeaux, il ne subsistera aucune trace.

Quoiqu’il en soit, nous y avons recueilli un mobilier archéologique considérable, documents qui resteront comme souvenirs probants et comme preuves de l’occupation de cette grotte à différentes époques. Sur la paroi verticale de droite en entrant et à 5 mètres environ du sol actuel, on remarque diverses entailles régulerais et assez profondes, dans lesquelles pouvaient s’emboiter des poutrelles qui devaient aller s’appuyer sur un ressaut saillant de la paroi de face. Nous présumons qu’à l’époque romaine, l’ouverture principale du nord pouvait se condamner à volonté, au moyen d’une forte tenture, de façon à éviter le violent et parfois gênant courant d’air qui existe à cet endroit. Vers le milieu du long couloir de 60m00, presque sur l’horizontalité actuelle et sur toute la largeur, le rocher est apparent et monte insensiblement vers le sud pour former tout au fond une chambre un peu en rotonde et assez spacieuse. Nous donnons (Figure ,2)

(Fig. 2). Coupe longitudinale, non à l’échelle, de la grotte

Une coupe longitudinale de la grotte pour la compréhension du phénomène de sa formation.

A une époque reculée, les eaux ont dû jouer là un rôle très important, on le constate un peu partout. Les suintements stalagmitiques, lents à présent, et ne se faisant sentir qu’à la saison des pluies, portent tout spécialement entre la partie A et B, beaucoup plus accentués en se rapprochant du point B. Là, il existe un tablier naturel sans doute, filais fortement alimenté et exhaussé par les dépôts. En C, est une chambre sèche que nous avons fouillée en dernier lieu, et dont nous allons parler plus loin. La déclivité naturelle du rocher amène en B les eaux d’infiltration et au début de nos fouilles (1er avril) nous nous sommes trouvés aux prises avec de sérieuses difficultés, car c’est un peu dans un véritable mortier qu’il fallait diriger nos recherches.

Il ne nous a pas été possible de reconnaître le fond rocheux de la grotte, nos recherches s’arrêtant à la couche qui ne renferme plus de matières organiques, mais il est à présumer que, soit par la pente naturelle, soit même par les profondeurs insondables, les eaux s’écoulaient ensuite dans la direction D, vers l’extérieur. L’opinion que nous émettons est aussi celle de M. Joleau, géologue, lequel a eu l’occasion de nous accompagner à différentes reprises aux cours de nos travaux.

Les plans ayant été faits à la boussole et à l’échelle par nos soins, avec le gracieux concours d’un de nos amis, M. Buhler, du service des Ponts et Chaussées, lequel nous tenons à remercier, nous ne donnerons aucune dimension au cours de notre compte rendu. Ainsi qu’il est facile de le constater par la coupe (Fig. 2), la chambre C se trouve très protégée contre les suintements, du moins actuels, elle est relativement sèche et les terres ont pu être retournées avec beaucoup de facilité. La fouille a porté jusqu’au sol rocheux rencontré à 1 mètre et 1m50, selon les sinuosités. La terre est noirâtre, cendreuse, avec de rares ossements d’actualité et quelques charbons. Nous n’avons recueilli là, essentiellement, que des preuves d’occupation à l’époque romaine et nous avons eu tout lieu d’en être surpris. En raison des industries préhistoriques trouvées en contre-bas, il est à présumer que pour des besoins particuliers, les Romains avaient opéré le nettoyage de cette chambre.

A l’emplacement désigné au plan, existait un squelette complet, de l’époque correspondante vraisemblablement; placé dans un sens longitudinal à la paroi, il n’était accompagné d’aucun mobilier particulier et nous n’avons aucune remarque à en faire. Il a été réenfoui, du reste, par nos soins, après examen, dans un autre endroit de la grotte. Au cours de cette fouille, nous avons rencontré beaucoup de débris de tuiles ordinaires, tuiles plates à rebords, vases, et retenu une petite lampe presque complète, ainsi que deux couvercles de vases curieux.

Nous noterons en passant, que le jour donné par l’ouverture de face, sauf pour ce réduit, a été suffisant pour nous permettre de nous dispenser de lumière.

La fouille, véritablement intéressante, porte en réalité du ressaut B jusqu’à l’ouverture du nord D.

En raison des conditions restrictives imposées, il nous fallait évidemment prendre des dispositions particulières de fouille, et c’est ainsi que pour la plus grande commodité et pour profiter le plus possible de la lumière naturelle, nous commencions par le haut en tranchées larges, puis nous recomblions au fur et à mesure toujours en descendant méthodiquement et graduellement vers l’ouverture.

Remaniées et mêlées Jusqu’à une certaine profondeur – tant pour les besoins actuels de servitude que sans doute aussi à l’époque romaine – ce n’est guère que sur la moitié de la surface que les couches sont en place Toutefois, une constatation s’impose; la couche la plus, ancienne avec industrie paléolithique est nette, parfaitement caractérisée, sans remaniement, et en contact avec une faune particulière fort intéressante dont il sera parlé plus loin. Nous n’avons pas l’intention de faire assister nos collègues à toutes les péripéties d’une fouille longue et méticuleuse, nous allons avec quelques détails, esquisser simplement une coupe et en décomposer les couches (Fig. 3).

(Fig. 3). Coupe des couches

Sur toute la surface, on trouve une 1re couche de fumier, surtout de moutons et de bœufs, très compacte, avec empâtements de débris d’actualité, romains, et même quelques silex à la base L’épaisseur varie de 0m15 à 0m20.

Puis, sur une moyenne de 0m30 à 0m40, on rencontre, couche (2), une terre très noire, cendreuse, avec de nombreux charbons, se poursuivant en mélange, couche (3), par un puissant cailloutis de 0m30 à 0m40 d’épaisseur.

Ces deux couches, nous ont procuré une industrie néolithique, antérieure au cuivre, dont il n’a pas été rencontré la moindre trace : pierre polie, os poli, silex et poterie.

La terre devient ensuite jaunâtre, compacte et argileuse sur une épaisseur moyenne de Om90. Nulle industrie et très rares ossements, couche (4).

A cette profondeur, près de 2 mètres, existe, couche (5), une faible bande très noire et charbonneuse de 0m10 environ d’épaisseur.

Au voisinage de cette bande, par dessus, et jusque 0m30 à 0m50 plus bas, la terre.est toujours argileuse et nous avons pu recueillir une industrie franchement paléolithique, avec de rares silex de taille moustérienne et de nombreux quartzites.

La faune très ancienne en contact avec cette industrie méritait seule d’être retenue, elle n’a aucune parenté avec celle de la surface et nous lui consacrerons un chapitre spécial.

A partir de la profondeur où cesse l’industrie, le sol devient argilo-sablonneux en mélange avec un gravier non roulé et très fin et, par places, des argiles à poterie, fines, d’une teinte jaunâtre, blanchâtre et verdâtre. La fouille s’est arrêtée à cette profondeur moyenne de 3 mètres, là où il n’existe plus traces de matières organiques.

La vaste salle en rotonde venant se ramifier sur  le long couloir formant la grotte principale et ayant son ouverture à l’ouest, par sa  disposition particulière, pouvait nous ménager d’heureuses surprises.

La fouille se poursuivit donc de ce côté, mais le caractère changeant du sol nous obligeait à pratiquer différemment.

Au-dessous de la couche de déjections d’actualité, on rencontrait toujours une couche épaisse de terre noirâtre et cendreuse, mais tellement remaniée qu’il fallait bien admettre une cause récente et particulière. Plus trace de préhistorique; des débris romains en contact avec des débris tout récents (ferrures diverses, outils de mineurs, bouteilles brisées, pipe Gambier, plâtres avec lettres estampillées, etc.).

Une fouille de reconnaissance du terrain était entreprise plus loin vers la gauche et là nous pouvions acquérir la preuve que toute cette partie de la grotte était beaucoup plus artificielle que naturelle, et qu’une véritable carrière d’exploitation y avait été ouverte.

Une autre remarque curieuse est également à signaler.

Nous avons vu que partout sur la surface existait une épaisseur assez considérable de fumier et, d’autre part, nous avons dit que, dans cette partie de la grotte, existait un courant d’air pour ainsi dire continu. Le fumier pouvait donc sécher facilement, car il a été constaté que sur toute l’épaisseur jus-qu’au roc reconnu, à 1m50 environ, la terre était dépourvue d’humidité. Il y a quelques années un incendie a consumé toute la surface et on trouve sur 0m10 à 0m20 d’épaisseur une cendre pure et légère, formant une bande curieuse blanche ou rougeâtre.

Nous jugions donc inutile de poursuivre nos recherches plus loin de ce côté.

En dehors du mur élevé jusqu’à 1 mètre du sol, en vue d’éviter les accidents– l’ouverture, on a pu le voir, étant presque à pic au-dessus de la voie ferrée– il existait un petit réduit ayant la forme d’un sarcophage. Nous l’avons dégagé, pensant qu’il avait été utilisé à l’époque romaine, mais sans succès.

La fouille se termine là et nous allons passer aux industries reconnues.

Epoque romaine

Nous avons déjà pu voir que le passage des Romains dans cette grotte était suffisamment indiqué, les débris de céramique sont nombreux et nous allons nous contenter de citer les quelques objets à peu près complets recueillis.

Petite lampe en terre rouge à encadrement linéaire et circulaire de la surface. Un sujet paraît avoir existé sur la périphérie du trou central, mais il n’est plus possible de le déterminer : pas de marque de potier.

Les deux tiers environ d’un vase très plat de 0m13 de diamètre, 0m06 de hauteur en terre rouge et fine. La bordure est rentrante ; vers le milieu une seconde bordure saillante devait supporter deux anses larges et plates, une seule subsiste. Le fond est conique et repose sur un large bouton également saillant de0m045 de diamètre. Le tout devait constituer un genre de casserole originale.

Deux épingles en os, l’une à tête en forme d’olive aplatie, la seconde à tête à quatre pans en losange.

Un petit bronze de Constantin, très fruste, ainsi qu’un autre grand bronze sur lequel il n’est plus possible de rien reconnaître.

Un petit camée de 0m008 de diamètre — sans doute un chaton de bague — à tête couronnée regardant à droite, très fine et fort saillante, en test de coquille, d’après M. Hinglais, et à transparence calcédonieuse. Cette tête aurait, selon M. G. Mercier, beaucoup d’analogie avec la tête de nos monnaies et médailles de 1848, on sait du reste combien ces effigies et même celles actuelles sont copiées de l’antique. S’il avait été possible d’utiliser le tamis, nous ne doutons pas qu’en ce qui touche à l’époque romaine, nombre de petits objets auraient pu être recueillis.

A suivre …/…

La version PDF téléchargeable

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *