Spéléo Club Constantine SPÉLÉOWORLD Comment les sociétés préhistoriques exploraient et aménageaient les grottes

Comment les sociétés préhistoriques exploraient et aménageaient les grottes


Source: The Conversation sous licence Creative Commons

Par Jean-Jacques Delannoy – Université Savoie Mont Blanc

Jean-Jacques Delannoy Professeur, Centre d’excellence du Conseil australien de la recherche pour la biodiversité et le patrimoine australiens, Université Savoie Mont Blanc

Déclaration de divulgation

Jean-Jacques Delannoy a reçu des financements du laboratoire Edytem et de l’Université Savoie Mont Blanc (Appel à projet recherche).


Comme en atteste l'art pariétal, les sociétés ont passé ont exploré et aménagé le milieu souterrain. Mais les peintures rupestres ne sont pas les seuls témoignages de la présence humaine dans les grottes durant la préhistoire.

Un des principaux alignements de stalagmites cassées dans la grotte de Saint-Marcel, dans la salle des Colonnes. Il contient 84 morceaux de concrétions, disposés au sol par des communautés préhistoriques. Laboratoire Edytem, Fourni par l’auteur

Dans une étude publiée dans Journal of Archaeological Method and Theory, nous avons étudié des alignements de stalagmites cassées dans la grotte de Saint-Marcel, en Ardèche. Vers -8 000 ans, des groupes humains ont cheminé 1,5 à 2,5 km sous terre, franchi des obstacles et déplacé des milliers de concrétions (stalactites, stalagmites, colonnes…) pour les assembleurs en des structures dûment pensés.

Si de tels marqueurs culturels ont déjà été identifiés dans les grottes de Bruniquel, La Garma ou Chauvet, ce qui retient ici l’attention, c’est à la fois leurs éloignements sous terre et leur âge à une période où on ne connaît pas de tels gestes. C’est un regard totalement inédit sur la place du monde souterrain dans les sociétés récentes de la préhistoire.

Construire à partir de stalactites et de stalagmites

Quand on associe grotte et préhistoire, on pense d’emblée aux grandes fresques des grottes Chauvet et de Lascaux. Les nombreuses grottes ornées présentes sur l’ensemble des continents sont un témoin universel des traces laissées sous terre par les communautés humaines passées. Les recherches anthropo-archéologiques ont cependant souligné que celles-ci ne réussissaient pas dans les grottes, tout au plus dans les porches d’entrée, et que l’acte d’aller sous terre répondait à des usages culturels et rituels spécifiques.

Photo drone d’une des structures de spéléofacts de la Salle des Colonnes, dans la grotte de Saint-Marcel. Laboratoire Edytem, Fourni par l’auteur

D’autres traces laissées sous terre par des humains préhistoriques ont été récemment mises en évidence. Celles-ci, parfois minimes (déplacement de blocs, de crânes d’ours…), parfois importantes (construction de structures à l’aide de blocs ou de stalagmites, que l’on appelle alors spéléofacts), constituant des témoins majeurs de l ‘appropriation des espaces souterrains par les sociétés anciennes. Ces transformations du milieu souterrain, parfois loin de l’entrée des grottes, revêtent de nouveaux regards sur l’engagement des sociétés du passé à explorer et à marquer cet espace singulier aux confins de leur territoire habituel. C’est dans cette perspective qu’a été retenu l’étude de curieux assemblages de stalagmites cassées et alignées au sol découverts dans les réseaux profonds de la grotte de Saint-Marcel.

Une grotte accidentée

Cette cavité, déjà connue pour les occupations préhistoriques de son porche d’entrée (Paléolithique moyen, aux environs de -100 000 ans, et paléolithique supérieur puis néolithique, à partir de -6 000 ans), n’avait jamais été investie comme un objet archéologique à part entière. Les recherches archéologiques s’étaient en effet arrêtées à la base du premier obstacle vertical (puits remontant d’une dizaine de mètres) qu’on imaginait alors infranchissable par les humains préhistoriques. Il s’agissait de considérer l’ensemble de la cavité sur ses 2,5 km de développement comme un espace d’exploration et d’usages par des communautés (pré) historiques.

Exemple d’aménagements rencontrés dans la grotte de Saint Marcel, au-delà d’1 km de l’entrée naturelle. On observe des concrétions disposées en escalier pour franchir un petit obstacle vertical, des bassins éventrés et des alignements de morceaux de stalagmites appartenant à différentes concrétions : tous ces témoignages portent l’empreinte de gestes humains volontaires. Laboratoire Edytem, Fourni par l’auteur

C’est dans ce sens que des recherches archéologiques et géomorphologiques, qui s’intéressent aux formes des conduits souterrains et des dépôts qui y sont présents, ont été entreprises dans la grotte de Saint-Marcel. Chaque forme ou dépôt est en effet associé à des processus d’érosion ou de sédimentation. Leur étude permet de reconstituer la genèse et l’évolution de la grotte. Dans l’étude de la grotte de Saint-Marcel, l’analyse géomorphologique a permis de relever des éléments au sol, des concrétions cassées, qui ne peuvent être d’origine naturelle. Nous avons ainsi pu retracer les gestes humains à l’origine de ces structures. Les concrétions ont été cassées à la force du corps ou en utilisant des outils, des percuteurs, c’est-à-dire des roches utilisées comme marteau.

Des architectes organisant précisément l’espace des grottes

C’est ainsi que notre attention a plus particulièrement été à portée des secteurs où l’on observe d’importantes concentrations de stalagmites cassées. Au-delà de leurs bris, celles-ci sont disposées au sol en des alignements et arcs de cercle de plusieurs dizaines de mètres. Leur étude a révélé que ces dispositifs répondaient à une réelle volonté de structuration de l’espace souterrain, entre des zones d’approvisionnement en concrétions et des zones de constructions composées de stalagmites brisées. Dans les secteurs étudiés, ce sont près de mille concrétions qui ont été cassées, transportées et arrangées au sol.

Carte des concentrations de structures anthropiques dans la Salle des Colonnes : elles concentrent plus de 350 stalagmites au sol et 172 bases de stalagmites cassées. Laboratoire Edyte, Fourni par l’auteur

Il restait à définir l’âge de ces aménagements. Avant ces nouveaux travaux, les concrétions cassées étaient couramment associées aux pratiques touristiques du XIXe siècle où il était d’usage de ramener un bout de stalagmites en guise de souvenir. Cependant une observation attentive de ces structures soulignait qu’elles étaient scellées par de nouvelles stalagmites non cassées. La datation de ces pousses de stalagmites donne un âge de 7 000 à 8 000 ans, ce qui indique que les alignements de concrétions brisées sont plus anciens et atteste que les gestes humains à leur origine remontent à la préhistoire.

Des explorateurs intrépides qui maîtrisaient le monde souterrain

Moins anciennes que celles étudiées dans les grottes de Bruniquel ou Chauvet, les dates obtenues changent radicalement les connaissances sur les incursions lointaines des sociétés mésolithiques dans les grottes. En effet, les structures anthropiques de la grotte de Saint-Marcel se situent loin de l’entrée : au-delà d’1,5 km et jusqu’au terminus de la galerie, à plus de 2,5 km.

Si on ne peut pas donner une interprétation sociale et culturelle des structures de spéléofacts de la grotte de Saint-Marcel, au-delà d’une volonté de « marquage » de l’espace de la grotte, leur découverte porte cependant un nouveau regard sur les sociétés de la fin du Paléolithique et du début du Néolithique. Véritables architectes du monde souterrain, elles disposaient d’une réelle aisance pour cheminer sous terre, traversant des zones aquatiques, passant des obstacles verticaux (trois puits de 10 m de hauteur) au franchissement jugé aujourd’hui difficile sans équipements adaptés.

Au-delà de ces dimensions exploratoires insoupçonnées, elles avaient une maîtrise de l’éclairage sur du temps long à l’aide de torches. L’éclairage devait couvrir le temps du cheminement aller et retour sur des distances de plusieurs kilomètres dans la grotte ainsi que le temps des aménagements réalisés dans ses tréfonds. Ces structures représentent de plus un travail d’ampleur, ayant demandé la participation de plusieurs personnes en même temps pour le déplacement de certains blocs.

L’ensemble de ces nouvelles données change nos connaissances sur ces sociétés passées, exploratrices et créatrices d’architectures dûment cachées dans les profondeurs souterraines et nous interrogeons leurs dimensions symboliques associées.

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