Une Leçon Dramatique sur la Fragilité des Écosystèmes Souterrains

En début septembre 2024, les rangers du Parc national des Carlsbad Caverns, au Nouveau-Mexique (États-Unis), ont découvert un sachet ouvert de Cheetos abandonné hors des sentiers balisés, dans la Big Room – la plus grande salle souterraine connue d’Amérique du Nord, avec un volume dépassant les 357 000 m³. Ce qui pourrait sembler être un geste banal et insignifiant de la part d’un visiteur a en réalité provoqué une perturbation écologique majeure dans cet environnement oligotrophe (extrêmement pauvre en nutriments), où la moindre introduction de matière organique étrangère peut déclencher des effets en cascade durables.
Les Mécanismes de la Contamination
Un Réseau Trophique Artificiel Inattendu
Les Carlsbad Caverns abritent un écosystème cavernicole hautement spécialisé, évolué dans l’obscurité totale, avec une humidité proche de 100 % et une disponibilité en nourriture extrêmement limitée. Les ingrédients du Cheetos – principalement du maïs transformé, des huiles végétales, du fromage en poudre et divers additifs – ont rapidement absorbé l’humidité ambiante, créant un substrat idéal pour la prolifération de micro-organismes et de champignons non natifs de la grotte.
En quelques jours seulement :
– Une couche blanche de moisissures et de champignons s’est développée autour et sous le sachet.
– Des invertébrés cavernicoles (crickets des grottes, acariens, araignées troglophiles, mouches) ont été attirés en masse par cette source de nourriture inhabituelle.
– Ces organismes ont formé un réseau trophique temporaire artificiel, transportant des spores fongiques et des microbes vers d’autres zones de la grotte, y compris sur les formations calcaires (stalagmites, stalactites, draperies).
– Les moisissures ont fructifié, sont mortes et ont dégagé des odeurs nauséabondes, altérant durablement la qualité chimique et olfactive de l’air souterrain.
Comme l’a expliqué le Service des Parcs nationaux dans un post devenu viral : « À l’échelle humaine, un sachet de snacks renversé peut paraître anodin, mais pour la vie de la grotte, c’est un événement qui change le monde. »
De plus, l’odeur dégagée risque d’attirer des animaux de surface (ratons laveurs, ringtails) dans la grotte, les exposant à des dangers mortels (chutes, désorientation).
L’Intervention des Rangers et les Limites de la Restauration
Les rangers ont réagi rapidement : le sachet et les débris visibles ont été retirés, et la zone a été soigneusement nettoyée pendant environ 20 minutes afin d’éliminer un maximum de moisissures et de résidus organiques. Cependant, les experts soulignent que les spores et les micro-organismes introduits se sont déjà dispersés bien au-delà de la zone initiale. Dans un milieu où les processus biologiques sont extrêmement lents, ces contaminants exogènes peuvent persister pendant des années, voire des décennies, modifiant durablement la composition microbienne du sol et des formations.
À Carlsbad, plus de 60 000 formations spéléothèmes ont déjà été endommagées ou détruites par l’activité humaine (lint, cheveux, poussières, toucher, prélèvements illégaux), et cet incident s’ajoute à une longue liste de perturbations cumulatives.
Pourquoi les Grottes Sont-elles Si Sensibles à ce Type d’Incident ?
Les écosystèmes cavernicoles sont des milieux extrêmes :
– Absence totale de lumière → pas de photosynthèse.
– Apport naturel en nutriments extrêmement faible (guano de chauves-souris, rares infiltrations).
– Faune spécialisée : troglobites (strictement cavernicoles, souvent aveugles et dépigmentés) et troglophiles qui dépendent d’un équilibre précaire.
Toute introduction de matière organique riche (nourriture, cheveux, peau morte, urine, etc.) rompt cet équilibre :
– Favorise les espèces opportunistes au détriment des endémiques.
– Peut contaminer les nappes phréatiques lentes.
– Risque d’introduire des pathogènes (ex. : champignons responsables du syndrome du museau blanc chez les chauves-souris).
Le Centre for Leave No Trace recommande explicitement :
– Ne rien introduire dans les grottes sauf de l’eau pure (pas de nourriture, pas de chewing-gum, pas de déchets organiques).
– Évacuer tous les déchets humains (y compris urine et matières fécales via des systèmes « pack-it-out »).
– Éviter tout contact avec les formations et les plans d’eau.
Une Leçon Universelle pour la Spéléologie et la Conservation
Cet incident, largement relayé dans la presse internationale et sur les réseaux sociaux, illustre de façon frappante que même un geste « minuscule » peut avoir des répercussions irréversibles dans un milieu fermé vieux de centaines de milliers d’années. Il rappelle aux spéléologues, aux visiteurs guidés et aux gestionnaires de sites que la protection des grottes ne repose pas seulement sur des règlements stricts, mais surtout sur une prise de conscience individuelle.
Comme le résume la ranger Ashley Parsons : « Nous avons tous la responsabilité collective de préserver ces espaces, sinon les générations futures n’auront plus rien à admirer. »
En spéléologie, le principe « Leave No Trace » n’est pas une simple recommandation : c’est une obligation éthique et écologique absolue.
Références principales :
- – National Park Service (post officiel, septembre 2024)
- – Leave No Trace Center for Outdoor Ethics – Guidelines for Caving – Articles de presse : Deseret News, Straits Times, KFOX, etc. (septembre 2024)
Hélas, un incident similaire s'était déjà produit dans les grottes de Constantine, sans provoquer la moindre réaction de la part des autorités compétentes ni des associations concernées dans ce domaine. Ce silence persistant soulève des interrogations quant à la réelle volonté de protéger ces sites naturels uniques, pourtant essentiels à la biodiversité et au patrimoine culturel. Le Spéléo Club de Constantine, de son côté, exprime de plus en plus sa frustration face à l'inaction, appelant à des mesures concrètes pour préserver ces trésors en péril.
https://scc25.com/ghar-lahdjer-un-rappel-collectif-au-respect-des-grottes/
