UNE GROTTE THERMALE EN ALGERIE :

LA GROTTE CHAUDE DE L’AZEROUEL KEBIR  (CHAINE DES BIBAN)

P.E. COIFFAIT*, R. FABRIOL* et P. GILLON*

RESUME:

La (GROTTE CHAUDE) située dans le massif calcaire de l’Azerou El Kébir (Biban) présente un triple intérêt, spéléologique, géologique et préhistorique. Son réseau de galeries s’échelonne sur plusieurs étages en suivant une direction N. 130°E, qui est celle des failles de surface. Les températures relevées, pouvant dépasser 30° et la très forte humidité sont liées au thermalisme qui se traduit également par des phénomènes géochimiques. La « GROTTE CHAUDE »  renferme également des traces du passage de l’homme. Celles-ci n’ont pu être analysées en détail.

Le massif de l’Azerou El Kébir est situé immédiatement au Sud des Portes de fer, dans la partie méridionale de la chaîne des Biban sur le territoire de la commune d’El Méhir. Ce massif carbonaté est intensément karstifié. Son étude, au point de vue spéléologique, a été commencée depuis plus de 3  ans maintenant Elle a déjà abouti à la reconnaissance et à la description de la « Grande Grotte» (COIF­FAIT, QUINIF, 1976, 1977, 1978) qui, avec ses 1500 m de galeries, constitue une des  plus grandes cavités d’Algérie. Nous voulons ici apporter les premiers éléments de description de la Grotte. Chaude, en dégageant son intérêt, ou point de vue spéléologique, géologique et préhistorique. L’équipe ayant permis les nouvelles reconnaissances exposées ici était composée de Philippe COIFFAIT, Claudine, Hubert et Robert FABRIOL, Jœlle et Pierre GILLON.

1. LE  CADRE  GEOLOGIQUE

Le cadre géologique de la Grotte Chaude est le même que celui de la Grande Grotte, et a donc déjà été décrit (CAIRE, 1957, COIFFAIT­VILA, 1976, COIFFAIT-QUINIF, 1976, 1977 et 1978). Nous n’y reviendrons pas, nous contentant de préciser les grandes lignes de la géologie du massif.

L’Azerou El Kébir correspond à la plateforme sétifienne carbonatée, percent, en série inverse, un empilement de nappes à dominante marneuse. La Grotte Chaude s’ouvre près de la terminaison méridionale du massif, dans les calcaires du Cénomanien. C’est là une importante différence d’avec la Grande Grotte, creusée, elle dans les dolomies. L’entrée est située à 200 m. environ au dessus de l’oued’ Azerou.

2 .LE  RESEAU  PROSPECTE

Il correspond à trois ensembles aux caractères sensiblement différents : le Réseau Supérieur, relié par un ensemble de galeries basses assez étroites, à un Réseau Inférieur, dont nous n’avons jusqu’à maintenant qu’une idée assez partielle.

Le Réseau Supérieur.

Il est formé par trois petites salles, dont l’une s’ouvre sur la falaise est de l’Azerou, actuellement entaillée par une carrière d’agrégats. Ces salles, vu l’arrivée d’air chaud venant des galeries inférieures ont une température assez constante, très sensiblement supérieure à relie de l’extérieur. Elles ont été occupées de très longue date par l’homme (cf. infra). Lors de nos différentes reconnaissances, pour une température extérieure voisine de 17oC, la température de ce réseau était de 18°C environ. Il convient également de noter la teneur en eau de l’atmosphère liée au thermalisme. Nous n’avons pas topographié ce réseau supérieur.

Les galeries Intermédiaires

S’ouvrant dans le réseau supérieur par une étroiture assez basse « en manivelle », ces galeries forment un ensemble développé essentiellement N 130oE, c’est-à-dire grossièrement perpendiculairement à la direction d’allongement du massif, direction qui est d’ailleurs aussi celle de la faille bordure selon laquelle les carbonates ont percé leur couverture de nappes.

Une première série d’étroitures aboutit à une petite salle assez richement concrétionnée. Succédant ensuite à un plancher assez incliné, un. P 10 permet d’arriver à la Galerie basse, suite de chatières et de boyaux étroits. Une étroiture très pontée et par conséquent difficile à franchir permet d’accéder à la Galerie des trois puits. Cette Galerie, de dimensions nettement plus grandes, doit son nom à la présence de 3 puits, un P. 20, un P. 40 et un puits estimé à P. 60. Par ailleurs nous avons observé l’existence de 4 cheminées remontantes, non explorées. Le P. 20 ne donne accès à aucune galerie par contre le P. 40 permet de déboucher dons le Réseau Inférieur. Quant au P. 60, nous ne l’avons pas exploré. Nous pensions qu’il débouchait lui aussi sur les parties basses de la Grotte, mais la topographie de la cavité montre qu’il peut en être autrement.

Parallèle à la Galerie basse, la Galerie squelette doit son nom à la présence d’un squelette fossile d’homme (cf. infra).

Le Réseau Inférieur

Autant les galeries intermédiaires ont été explorées et topographiées avec soin, autant le Réseau Inférieur est mal connu. Son exploration n’a pu être menée à bien, du fait de la chaleur et de l’humidité qui y règnent. Nous joignons cependant un schéma d’exploration approximatif.

Le Réseau reconnu correspond à une galerie « principale» de 5 à 7 m. de large. De fait on circule sur un faux plancher de gypse, de part et d’outre d’un canal central d’environ une dizaine de mètres de profondeur maximale. Les « murs» sont recouverts d’un placage de gypse saccharoïde blanc, haut de 2 m. environ. Le plafond est plus ou moins discernable suivant les endroits. Cette galerie « principale » se prolonge par une galerie à peu près aussi large, mais encombrée de nombreux blocs. Nous avons terminé l’exploration sur un  ressaut de 7 à 10 m. de haut. Mais au delà, on voit la galerie à perte de lampe, toujours régulière, avec peut-être une galerie adjacente sur la gauche. D’ailleurs des départs de galeries, non explorées, ont été vus à partir des galeries principales. Enfin, vers le S.E. le système semble se prolonger. Deux départs de galeries ont en effet été aperçus. Mais le faux plancher de gypse et la chaleur humide rendent l’exploration forte délicate.

Caractéristiques générales du réseau.

Le réseau de la grotte chaude se développe suivant une direction privilégiée : N 130°E environ. Il se développe donc en exploitant surtout cette direction, qui correspond à une importante faille transverse à l’échelle du massif.

Ce qui est le plus marquant dans le réseau de la Grotte Chaude, c’est l’abondance des coupoles. La grotte se présente comme une succession de coupoles anastomosées. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons le problème du thermalisme. Car il semble que la corrosion actuelle, sous l’influence des vapeurs thermales, se fasse en coupoles, ou participe tout au moins à l’exacerbation de coupoles préexistantes. Nos observations sont encore trop partielles sur ce sujet mais il s’agirait d’un mode nouveau de creusement de coupoles (RENAULT 1967-68, QUINIF 1973). En tout état de cause le développement du réseau n’est pas aléatoire, mais fortement guidé par la structure interne du massif. Nous retrouvons là une conclusion déjà établie pour la Grande Grotte.

 Enfin, sans que nous puissions en établir actuellement le pourquoi, le Réseau de la Grotte Chaude peut se subdiviser en deux grands ensembles : le Réseau Supérieur, la salle concrétionnée la Galerie Basse et la Galerie du Squelette d’une part, que l’on peut opposer à la Galerie des 3 puits et au Réseau Inférieur. Dans le premier ensemble, les conduits sont étroits, fort étroits même parfois. Le second ensemble par contre se caractérise par des vides importants : les Galeries ont plusieurs mètres de larges, et plusieurs dizaines, voir plusieurs centaines de mètres de longs.

3. LE THERMALISME :

C’est le trait le plus important de la Grotte Chaude, qui lui doit d’ailleurs son nom. Nous l’avons déjà évoqué dans ce qui précède, mais nous allons maintenant en décrire ses manifestations et ses conséquences.

Le gradient thermique.

Aussitôt passées les chatières d’entrée et quelle que soit la température extérieure, la température de la Grotte Chaude atteint 27,5°C.

A la tête du P. 10 suivant la salle concrétionnée la température est de 28°C. Un thermomètre à maxima et minima laissé à cet endroit de Janvier 1976 à Mai 1977 n’a enregistré que des variations, dont l’amplitude ne dépasse pas 0,5°C. La température est donc élevée et constante. A la base de ce P. 10, nous avons observé 29°C. Au milieu de la Galerie Basse, vers l’embranchement pour la Galerie du Squelette, la température est de 29,5°. Cette température est à peu près constante tout le long de la Galerie Basse. Par contre dons la Galerie du Squelette elle atteint 31°C. A la base du P. 40  nous avons pu mesurer 32°C. A l’extrémité reconnue du Réseau Inférieur, la température est encore plus élevée. Autant dire que dans ces conditions l’exploration est difficile, et tout effort particulièrement pénible. La reconnaissance du Réseau Inférieur ne peut être faite que par une équipe entraînée et habituée à ces conditions.

D’autant plus qu’à la température s’ajoute l’humidité. Nous n’avons pu faire qu’une mesure, à la base du

P. 10. Nous avons obtenu 99 % d’humidité. Et tout au long du réseau, nous avons eu l’impression que l’atmosphère était pratiquement saturée d’humidité.

Ainsi la Grotte Chaude mérite largement son nom! Souhaitons seulement que la température n’augmente pas encore lors de l’exploration du Réseau Inférieur. Sinon cette dernière devrait être abandonnée à cause des conditions climatiques de la cavité.

Les phénom.nes géochimiques iles.

Nous considérons comme liées au thermalisme la corrosion actuelle, et les masses de gypse que l’on peut observer dons la Galerie des 3 puits et dans le Réseau. Inférieur.

Sans parler de la morphologie à laquelle la corrosion actuelle peut mener, nous devons néanmoins revenir sur les processus actuels de corrosion. Les parois de La cavité sont enduites d’une couche pouvant être centimétrique, de calcaire décomposé, mélangé très vraisemblablement, à de l’argile de décalcification.

Cette corrosion, généralisée à l’ensemble des parois de la Grotte, ne peut s’expliquer par l’action d’eau de ruissellement. Nous l’attribuons à l’effet des vapeurs thermales sur les parois. Nous n’avons pas constaté la présence de gaz carbonique dans l’air, ou de gaz sulfureux. Mais l’apport d’eau sous forme de’ vapeur à partir des parties profondes de la grotte permet une condensation, et par conséquent un apport d’eau et un renouvellement des solutions sur les parois « froides » de la cavité.

Mais le phénomène géochimique le plus incontestablement lié au thermalisme est l’existence de très importantes masses de gypse saccharoïde. Ce même phénomène avait été observé dons la Grande Grotte. Mais, bien que cela ne nous semblait que très  peu probable, il n’était pas totalement exclu que ce gypse provienne d’une oxydation de la pyrite contenue dans la dolomie, d’autant que des « concrétions » ferrugineuses existaient. Ici par contre, il n’existe aucune concrétion ferrugineuse. Et le gypse est en masse nettement trop important pour pouvoir provenir de l’oxydation de pyrite contenue dons le calcaire. La seule solution possible est donc d’attribuer à ce gypse une origine thermale. D’ailleurs son mode d’affleurement en trottoir dans la Galerie principale du Réseau Inférieur, correspond à une concrétion (sur les bords d’un ancien lac souterrain) en pied d’alouette, et l’on observe des touffes de cristaux émergeant en bouquet de la paroi, du plus bel effet esthétique.

4. ASPECT PREHISTORIQUE DE LA CAVITE:

 Du fait du thermalisme d’une part et de la position dominante de la Grotte au dessus de la falaise de l’Azerou El Kébir, la grotte a toujours été un site occupé par l’homme.

Les silex taillés de type capsiens abondant à l’extérieur de la Grotte. Dans le Réseau Supérieur, on retrouve ces silex, mais surtout, on y observe de nombreux tessons de poteries néolithiques. Une pierre ayant servie à polir ces poteries a même été trouvée. Ce qui prouve que nous sommes en présence de traces d’habitat.

A l’entrée de la Grotte, des inscriptions peintes, en caractères vraisemblablement Libyques ont été trouvées.

Enfin, à l’entrée du boyau donnant accès aux Galeries intermédiaires, dons le Réseau Supérieur, nous avons récolté un tesson de lampe à huile, dont la finesse de la pate et la rotondité correspondent à une lampe à huile romaine.

Ainsi, de tout temps le Réseau Supérieur a-t-­il servi d’abri à l’homme. Des recherches approfondies, faites par des spécialistes, devraient permettre de faire encore bien des découvertes sur ce site, dont les particularités, en font un endroit privilégié.

Toujours en ce qui concerne l’aspect préhistorique de la cavité nous devons signaler la présence d’un reste de squelette humain au fond de la Galerie du Squelette. La partie supérieure, tête tronc et membres supérieurs, manquent : ils n’ont pas été fossilisés. Le bassin est en très mauvais état. Par contre les membres ‘inférieurs sont bien fossilisés, el encore en connections. Juste à côté de ces restes humains, nous avons trouvé un squelette de chat. Nous ne, pouvons expliquer la présence de ces restes, de toute évidence anciens, dans cette partie de la Grotte, au fond d’une Galerie étroite et d’accès malaisé.

De plus, lors de la découverte de la Grotte Chaude, la cavité, hormis bien évidemment le Réseau Supérieur, ne présentait aucune trace de pénétration par l’homme. Les chatières d’entrées étaient scellées par de petites concrétions. De même la chatière située entre la base du P. 10 et la Galerie Basse était obstruée par des sédiments détritiques divers : terre, etc… Aussi nous voyons mal comment un homme aurait pu se glisser jusqu’au fond de la Galerie du Squelette, en empruntant le trajet que nous avons suivi,’ il semble raisonnable d’admettre que la cavité ait dû présenter des entrées différentes de celle que nous connaissons. Il existe dans la Galerie du Squelette une cheminée qu’il reste à explorer.

Et la présence d’un squelette de chat et de canidé juste à côté du squelette humain reste un problème à résoudre.

CONCLUSION :

La Grotte Chaude de l’Azerou El Kébir présente donc une originalité certaine, liée essentiellement à son thermalisme. Au point de vue scientifique son intérêt est immense. C’est en effet un cas pratiquement unique (une grotte thermale existerait aussi en Espagne dans la région d’El Amma de Murcia), où le thermalisme et ses effets pourront être observés et étudiés sous terre in situ. Lorsqu’on connait le nombre de sources thermales ne serait-ce que dans l’Est Algérien, situées dans un contexte géologique asez semblable à celui de l’Azerou El Kébir (COIFFAIT, QUINIF, VILA, 1975) et lorsqu’on sait les problèmes liés ou manque d’eau, on conçoit tout l’intérêt d’une telle étude.

Ensuite, cette Grotte Chaude, par l’abondance des restes préhistoriques qu’elle contient, constitue un élément ‘important du patrimoine national algérien qui doit être bien connu et préservé.

Pour toutes ces raisons la poursuite de son étude s’impose, malgré les conditions particulièrement pénibles dans lesquelles elle peut être menée. Ce ne peut être que par une équipe suffisamment nombreuse et restant longtemps sur ce sujet (pour pouvoir s’habituer aux conditions climatiques de la cavité) que cela pourrait être mené à bien.

BIBLIOGRAPHIE

-CAIRE (A.) – 1957 – Etude géologique de la chaîne des Bibans.

Bull. serv. carte géol. Algérie, Nlle série N° 16, 2 t.

-COIFFAIT (P. – E.), QUINIF (V.) – 1976 – La Grande Grotte de l’Azerou El Kébir (A1gé­rie),

Spelunca No 3, 107-112.

-COIFFAIT (P E.) QUINIF (V.) – 1977 – Fracturation et karstification d’un massif: l’exemple de l’Azerou El Kébir (Algérie du Nord). Sous presse.

-COIFFAIT (P. – E.). QUINIF (V.) – 1978 – La karstification de l’Azerou El Kébir (Algérie du Nord) : Approche globale de la spéléo-­genèse d’un massif.

Bull. Soo. Hist. Not: Afr. du Nord. Sous presse.

-COIFFAIT (P. – E.), QUINIF (Y.), VILA (J.M.) – 1975 – Histoire géologique et karstification des massifs néritiques constantinois (Algérie). Ann. Spéléol. 30, 4, 619-627.

-COIFFAIT (P. – E.). VILA (J.M.) ~ 1976 – La série renversée des Azerou (région des Bibans, Algérie) un témoin de la plateforme néritique sétifienne sous la nappe bibanique.

C.R.S.G.F. fasc. 6, 269 – 271.

– QUINIF (Y.) – Contribution à l’étude morphologique des coupoles. .

Ann. Spéléol., 28, 4, 565 – 573.

RENAULT (P.) – 1967 et 1968 – Contribution à l’étude des cotions mécaniques et sédimentologiques dans la spéléo-genèse.

Ann. Spéléol., XXII, 209,307, 259-596

RHUMEL

REVUE DES SCIENCES DE LA TERRE  N° 01- ANNEE 1982

Publication de l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université de CONSTANTINE

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